dimanche 26 octobre 2025

Art sans conscience n'est que ruine de l'âme

 

Deux mondes irréconciliables ?...

Madrid. Octobre 2025. 24h dans une machine à laver. Ovations, applaudissements frénétiques, cris d’effroi, cris de haine, cris de joie, olés assourdissants, vociférations en tout genre, angoisses, soulagements. Sourires. Larmes. Nous sommes sortis lessivés. Et les 7h de route pour rentrer à la maison n’étaient que formalité finalement. Madrid. Rien de bien important. De la tauromachie. Rien que des corridas.

Depuis quelques mois, plus qu’ailleurs, le public madrilène s’est renouvelé. En masse, des jeunes viennent aux arènes. En réaction. Contre le véganisme, contre le wokisme, contre les anti-taurins. Contre la mairie de gauche. Contre les contres. Ce sont des réactionnaires.

En Espagne, les toros sont de droite. Au mieux.

Dimanche. La corrida est terminée depuis 5 minutes et, déjà, la légende est en marche. Tout le monde ment. Tout le monde est d’accord pour mentir. On refait l’histoire. On fabrique l’Histoire. L’Homme a besoin de croyances. Il lui faut des mythes pour continuer à espérer. Qu’importe la réalité… pourvu qu’il ait l’ivresse.

Pendant 24h, Las Ventas était en fusion. Nous étions dans la Mecque du toreo authentique. Inoubliables les véroniques de Ginès Marin au second Victorino. Incroyables les doblones de Romàn. Le week-end était réussi. Et puis le lendemain matin, il y a eu les trincherillas de Curro. Il y a eu César. Le grand César. Il y a eu l’estoconazo de Frascuelo, 78 ans. Il y a eu Ponce. Ponce, toujours Ponce. Et même Olga. Irréel. Madrid dans toute sa splendeur. Madrid. Notre Madrid de toujours. Madrid. Notre Madrid.

Le soir, l’ambiance était électrique. Pesante. Malaisante. Devant la Grande porte, les réactionnaires, bras tendus, ne voulait pas laisser un pouce de terrain aux quelques manifestants animalistes. Le matin non plus, Morante ne voulait pas laisser un pouce de terrain à son adversaire, sosie d’Atrevido, bien moins docile que ses congénères. Des mois que cela dure. Les véritables triomphes ont ce prix. Ça ne peut pas continuer éternellement.

A l’issue du paseo, l’ovation grandit. José Antonio Morante de la Puebla (c’est comme ça qu’on l’appelle aujourd’hui) croit évidemment que c’est pour lui. L’égocentrisme est partie intégrante de nombreuses maladies mentales. C’est un fait. Pas un jugement (loin de là). Les trois matadors se retirent aux barrières. L’acclamation reprend de plus belle. L’aficion de Madrid (notre Madrid) obtient gain de cause. Ce coup-ci, son torero sort seul. L’hommage n’est que pour lui. Et ce torero, c’est Fernando Robleño. Le modeste Robleño qui vient ce jour terminer sa carrière. Modestement. Chez lui. A Madrid. Madrid a toujours aimé les modestes. A ce moment-là, nous ne savons pas encore qu’il ne s’agit déjà plus de tauromachie. Ou plus seulement. 2 mondes s’entrechoquent. C’est le débat de l’entre-deux-tours.

Ce que l’on retiendra apparemment de cette corrida, c’est qu’après avoir triomphé d’un toro qui le laissait pour mort quelques minutes auparavant, le génie José Antonio Morante de la Puebla, a décidé de se retirer de la profession laissant ses fans orphelins. Coup de tonnerre ! La tauromachie s’en remettra-t-elle ?

Les fans de JAMDLP, nous en avons déjà parlé. C’est la néo-aficion fascisante. Ce qu’il faut tout de même savoir c’est qu’ils ne sont pas à confondre avec les « Morantistes de toujours ». Ce que fut réellement la tarde de JAMDLP ce jour-là ? C’est assez simple en fait. Une énorme boite à son 2ème toro à la fin d’une réception au capote complètement atypique et improvisée. Un moment suspendu pendant lequel on se demande (en fois de plus) à quel point le gars est fêlé pour revenir en piste. Enfin, une douzaine de tout petits derechazos sans broncher d’un millimètre et une estocade fissa plutôt bien portée dans un délire (quasi) général. Délire resté intact depuis la rouste. Ça valait une oreille (comme Robleño après d’ailleurs). Mais le président, peut-être soucieux de ne pas provoquer une émeute, lâche l’affaire. JAMDLP est fêté comme une idole. Devant les tendidos 6 et 7 (notre Madrid), le triomphe est très largement contesté. Le triomphe. Pas la valeur du torero…

José Antonio Morante de la Puebla restera légitimement dans la mémoire des aficionados « normaux » comme un indéniable artiste qui n’aura eu de cesse, tout au long des années, de mettre son inventivité au service d’un toreo pur et classique. Désormais, il est « débordé ». L’hystérie qu’il génère depuis quelques mois (quelques mois seulement en 25 ans de carrière) est un mouvement politique. Morante est instrumentalisé. Il est devenu en Espagne l’étendard des traditionnalistes/nationalistes comme en témoignent les vivats reçus au moment de son ultime brindis à Santiago Abascal : leur Marine Le Pen à eux. La moindre critique de Dieu provoque un tollé et Las Ventas, considérée jusque-là comme un lieu d’expressions diverses, était prête à lyncher quelques contestataires disséminés.

Nous étions là. Déboussolés. La tauromachie passait au second plan. Derrière une odeur nauséabonde. Assez facile à identifier finalement. Madrid sentait la merde.

Et comme il n’est pas question de dissocier l’homme de son œuvre, la despedida de Morante n’est pas un choc. C’est un soulagement. L’art ne peut être qu’au service de l’humanité. Du vivre ensemble. Pas de la division et de la haine.

Pendant que les nazillons exaltaient une dernière fois leur héros, Madrid saluait sobrement Robleño.

Notre Madrid.