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| Deux mondes irréconciliables ?... |
Madrid. Octobre 2025. 24h dans une machine à laver. Ovations,
applaudissements frénétiques, cris d’effroi, cris de haine, cris de joie, olés
assourdissants, vociférations en tout genre, angoisses, soulagements. Sourires.
Larmes. Nous sommes sortis lessivés. Et les 7h de route pour rentrer à la
maison n’étaient que formalité finalement. Madrid. Rien de bien important. De
la tauromachie. Rien que des corridas.
Depuis quelques mois, plus qu’ailleurs, le public madrilène
s’est renouvelé. En masse, des jeunes viennent aux arènes. En réaction. Contre
le véganisme, contre le wokisme, contre les anti-taurins. Contre la mairie de
gauche. Contre les contres. Ce sont des réactionnaires.
En Espagne, les toros sont de droite. Au mieux.
Dimanche. La corrida est terminée depuis 5 minutes et, déjà,
la légende est en marche. Tout le monde ment. Tout le monde est d’accord pour
mentir. On refait l’histoire. On fabrique l’Histoire. L’Homme a besoin de
croyances. Il lui faut des mythes pour continuer à espérer. Qu’importe la
réalité… pourvu qu’il ait l’ivresse.
Pendant 24h, Las Ventas était en fusion. Nous étions dans la
Mecque du toreo authentique. Inoubliables les véroniques de Ginès Marin
au second Victorino. Incroyables les doblones de Romàn. Le
week-end était réussi. Et puis le lendemain matin, il y a eu les trincherillas
de Curro. Il y a eu César. Le grand César. Il y a eu l’estoconazo
de Frascuelo, 78 ans. Il y a eu Ponce. Ponce, toujours Ponce. Et
même Olga. Irréel. Madrid dans toute sa splendeur. Madrid. Notre Madrid
de toujours. Madrid. Notre Madrid.
Le soir, l’ambiance était électrique. Pesante. Malaisante. Devant
la Grande porte, les réactionnaires, bras tendus, ne voulait pas laisser un
pouce de terrain aux quelques manifestants animalistes. Le matin non plus,
Morante ne voulait pas laisser un pouce de terrain à son adversaire, sosie d’Atrevido,
bien moins docile que ses congénères. Des mois que cela dure. Les véritables
triomphes ont ce prix. Ça ne peut pas continuer éternellement.
A l’issue du paseo, l’ovation grandit. José Antonio
Morante de la Puebla (c’est comme ça qu’on l’appelle aujourd’hui) croit évidemment
que c’est pour lui. L’égocentrisme est partie intégrante de nombreuses maladies
mentales. C’est un fait. Pas un jugement (loin de là). Les trois matadors se
retirent aux barrières. L’acclamation reprend de plus belle. L’aficion de
Madrid (notre Madrid) obtient gain de cause. Ce coup-ci, son torero sort seul.
L’hommage n’est que pour lui. Et ce torero, c’est Fernando Robleño. Le
modeste Robleño qui vient ce jour terminer sa carrière. Modestement. Chez lui.
A Madrid. Madrid a toujours aimé les modestes. A ce moment-là, nous ne savons
pas encore qu’il ne s’agit déjà plus de tauromachie. Ou plus seulement. 2
mondes s’entrechoquent. C’est le débat de l’entre-deux-tours.
Ce que l’on retiendra apparemment de cette corrida, c’est qu’après
avoir triomphé d’un toro qui le laissait pour mort quelques minutes auparavant,
le génie José Antonio Morante de la Puebla, a décidé de se retirer de la
profession laissant ses fans orphelins. Coup de tonnerre ! La tauromachie
s’en remettra-t-elle ?
Les fans de JAMDLP, nous en avons déjà parlé. C’est la
néo-aficion fascisante. Ce qu’il faut tout de même savoir c’est qu’ils ne sont
pas à confondre avec les « Morantistes de toujours ». Ce que fut
réellement la tarde de JAMDLP ce jour-là ? C’est assez simple en fait. Une
énorme boite à son 2ème toro à la fin d’une réception au capote
complètement atypique et improvisée. Un moment suspendu pendant lequel on se
demande (en fois de plus) à quel point le gars est fêlé pour revenir en piste. Enfin,
une douzaine de tout petits derechazos sans broncher d’un millimètre et une
estocade fissa plutôt bien portée dans un délire (quasi) général. Délire resté
intact depuis la rouste. Ça valait une oreille (comme Robleño après
d’ailleurs). Mais le président, peut-être soucieux de ne pas provoquer une
émeute, lâche l’affaire. JAMDLP est fêté comme une idole. Devant les tendidos 6
et 7 (notre Madrid), le triomphe est très largement contesté. Le triomphe. Pas
la valeur du torero…
José Antonio Morante de la Puebla restera légitimement dans
la mémoire des aficionados « normaux » comme un indéniable artiste
qui n’aura eu de cesse, tout au long des années, de mettre son inventivité au
service d’un toreo pur et classique. Désormais, il est « débordé ». L’hystérie
qu’il génère depuis quelques mois (quelques mois seulement en 25 ans de
carrière) est un mouvement politique. Morante est instrumentalisé. Il est devenu
en Espagne l’étendard des traditionnalistes/nationalistes comme en témoignent les
vivats reçus au moment de son ultime brindis à Santiago Abascal :
leur Marine Le Pen à eux. La moindre critique de Dieu provoque un tollé et Las
Ventas, considérée jusque-là comme un lieu d’expressions diverses, était prête
à lyncher quelques contestataires disséminés.
Nous étions là. Déboussolés. La tauromachie passait au
second plan. Derrière une odeur nauséabonde. Assez facile à identifier finalement.
Madrid sentait la merde.
Et comme il n’est pas question de dissocier l’homme de son
œuvre, la despedida de Morante n’est pas un choc. C’est un soulagement. L’art
ne peut être qu’au service de l’humanité. Du vivre ensemble. Pas de la division
et de la haine.
Pendant que les nazillons exaltaient une dernière fois leur
héros, Madrid saluait sobrement Robleño.
Notre Madrid.
